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Brexit : le retour de Londres au réalisme, et ce, selon le ton du discours de Theresa May 

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« Nous devons reconnaître que c’est une négociation et qu’aucun d’entre nous n’aura exactement ce qu’il veut » a reconnu Theresa May lors de son discours du 2 mars dernier au sujet du Brexit. – AFP

Tunisie-Tribune (Brexit) – Le discours prononcé en fin de semaine dernière par la Première ministre britannique Theresa May ne fait pas seulement basculer le Royaume-Uni dans le vif des négociations avec Bruxelles. Il signe aussi le retour au pragmatisme de Londres, qui admet désormais que de lourdes concessions seront inévitables.

Fini de rêver. Le  troisième discours sur le Brexit, prononcé en fin de semaine dernière à Londres par la Première ministre britannique Theresa May, ne fait pas seulement basculer le Royaume-Uni dans le vif des négociations avec Bruxelles. Il le ramène aussi sur Terre. Avec en filigrane un message clair aux hard Brexiters conservateurs qui défendent une coupure nette avec l’Union : si vous voulez que le pays sorte de l’UE, leur dit en substance Theresa May, il va falloir renoncer à certaines de vos prétentions.

Engagements contraignants

Ce n’est pas la première fois que la Première ministre conservatrice distille ce genre d’avertissement. Plusieurs fois, ces derniers mois, elle a, ici ou là, fait entendre à l’aile dure de son parti qu’elle ne pourrait obtenir tout ce qu’elle réclame. Mais c’est la première fois qu’elle le fait de manière aussi claire et directe. « Nous devons reconnaître que c’est une négociation et qu’aucun d’entre nous n’aura exactement ce qu’il veut », a-t-elle lâché vendredi, en s’adressant sans doute autant aux eurocrates bruxellois qu’aux députés tories ou aux ministres de son gouvernement. Avant d’appeler chacun à « faire face à plusieurs dures réalités » (« hard facts »). Oui, le droit européen et les décisions de la Cour de justice de l’UE continueront d’affecter le Royaume-Uni même quand il sera sorti de sa juridiction. Oui encore, Londres devra prendre des engagements contraignants, notamment au regard des aides d’Etat ou du droit de la concurrence, pour accéder au marché européen à des conditions équitables.

Avaler des couleuvres

Autant de couleuvres difficiles à avaler pour  les Brexiters du parti. Et pourtant, ni tollé ni cris d’orfraie après le discours de vendredi. « Theresa May reconnaît que ‘Brexit veut dire compromis‘ », titrait simplement le très eurosceptique « Daily Mail » en parodiant la désormais célèbre formule « Brexit veut dire Brexit », brandie il y a seulement quelques mois par la Première ministre. Même calme du côté des « Rebel Tories » pro-européens qui veulent la contraindre à rester dans une union douanière avec l’UE. La sortie du marché unique et de l’Union douanière avec l’UE réduira l’accès des entreprises britanniques aux consommateurs européens, a pourtant dit la dirigeante.

Le beurre et l’argent du beurre

Cet appel au réalisme, qui ne peut pas faire de mal avant d’entamer les  discussions avec Bruxelles sur les futures relations que le Royaume-Uni et l’UE veulent entretenir après le Brexit, montre que Theresa May n’en a peut-être jamais manqué. Jusqu’ici accusée par Bruxelles d’entretenir le flou artistique sur ses intentions, la Première ministre n’aurait-elle fait qu’entretenir le secret pour préserver ses marges de manoeuvre ? Soupçonnée par les Européens de vouloir le beurre et l’argent du beurre en sortant du marché unique et de l’Union douanière tout en refusant d’en supporter les conséquences, aurait-elle seulement tenté d’obtenir le maximum, comme c’est d’usage au début de toute négociation ?

Fin de la récréation

Contestée à Londres jusque dans son propre camp et même dans son propre gouvernement, aurait-elle simplement laissé chacun s’exprimer pour entendre tous les arguments, avant de siffler la fin de la récréation et d’avancer sa propre vision ? Mieux encore, aurait-elle parfois laissé se tendre ce préambule de discussions avec Bruxelles pour mieux montrer à ceux qui redoutent qu’elle ne lâche trop de lest, qu’elle veille au contraire au grain ?

La Première ministre conservatrice est en tout cas en train, bon an mal an, de faire avancer le Brexit vers une mise en oeuvre qui, si elle s’annonce plutôt douce, n’en est pas moins certaine. Tout en restant, pour l’instant, bien accrochée à son fauteuil. « Weak and stable » (faible mais stable), disait-on d’elle en plaisantant, il y a quelques semaines, dans les couloirs du Parlement de Westminster. Une allusion au slogan « strong and stable » arboré par le parti conservateur…

Propositions alternatives

Cette situation a tout pour durer. D’abord, parce que chacun a intérêt à maintenir une Première ministre affaiblie pour mieux lui imposer ses vues. Ensuite, parce que personne ne veut mettre les mains dans le cambouis à sa place – trop de coups à prendre et pas assez de lauriers à récolter. Enfin, parce que mieux vaut attendre qu’elle ait mené le Brexit à son terme pour chercher à la remplacer. Les propositions alternatives aux siennes  récemment mises sur la table par Jeremy Corbyn, le leader du Labour, visent ainsi sans doute moins à jouer le scénario d’une alternance politique à court terme qu’à préparer l’avenir à long terme. Autrement dit, moins à prendre le pouvoir pour mettre en oeuvre un autre Brexit qu’à renforcer le poids de l’opposition travailliste en se démarquant du gouvernement pour mieux le critiquer.

Perte de bastions

Reste que tout pourrait changer avec les élections locales de début mai, qui s’annoncent difficiles pour le parti conservateur. En particulier à Londres, où les tories pourraient perdre plusieurs bastions historiques, à commencer par l’emblématique quartier (« bourough ») de Westminster. Et ce, juste avant que les députés ne se prononcent sur plusieurs amendements au projet de loi commerce et à celui sur la fiscalité visant à tordre le bras du gouvernement sur le Brexit. Le parti pourrait alors douter de son avenir et céder à la tentation de changer de leadership. Si elle parvient à se maintenir, Theresa May jouera de nouveau sa tête dans sept ou huit mois quand, à quelques mois seulement de l’entrée en vigueur du Brexit (fin mars 2019), elle devra avoir finalisé un accord avec Bruxelles.

Alexandre Counis 

 

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