Pourquoi la dette privée inquiète tant ? Les emprunts accumulés feraient-ils craindre une déflagration majeure ?

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La dette totale de 20 pays émergents est évaluée à 53.000 milliards de dollars, soit 215 % de leur PIB à la fin du premier trimestre de 2016.

L'abondance de liquidités et la flambée des cours des matières premières ont permis pendant des années aux entreprises des pays émergents de s'endetter à marche forcée. Aujourd'hui, le contexte est moins favorable et les montagnes d'emprunts accumulés font craindre une déflagration majeure.

Les conditions financières se sont détériorées de façon significative en Angola, en Egypte, au Ghana, au Kenya, en Mongolie, en Tanzanie, en Tunisie et en Zambie

…Réelle inquiétude : celle d'une déflagration mondiale, se propageant par un effet de dominos si…

Économie (dette privée des pays émergents) – « Un modèle de croissance qui s'appuie trop sur la dette, publique et privée, au fil du temps, sème les germes de sa défaite. » Cette mise en garde de la Banque des règlements internationaux (BRI) date de… juin 2014. Deux ans après, le moins que l'on puisse dire est que cet avertissement n'a pas été entendu par tout le monde. Les entreprises des pays émergents et en développement l'ont même clairement ignoré.

Le 11 juin dernier, à Shenzhen (ville de Chine, située en bordure de Hong Kong – 7 millions d'hanitants), le numéro deux du Fonds monétaire international (FMI), David Lipton, a enjoint les autorités chinoises à se saisir immédiatement du problème de l'endettement croissant des entreprises locales.

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L'institution multilatérale l'évalue aux alentours de 145 % du PIB. L'inquiétude est d'autant plus élevée que les entreprises d'Etat – loin d'être toutes rentables – représentent, à elles seules, 55 % de la dette totale des entreprises. Mais on aurait tort de croire que seule la Chine est concernée.

Institute_of_International_Finance_logoL'Institute of International Finance, l'association qui regroupe les plus grandes banques internationales, relève dans son bulletin hebdomadaire du 17 juin que la dette totale de 20 pays émergents a encore augmenté pour culminer à 53.000 milliards de dollars, soit 215 % du produit intérieur brut (PIB) à la fin du premier trimestre de 2016. L'augmentation la plus prononcée se situe en Chine, en Argentine, au Brésil et en Arabie saoudite. Elle se concentre essentiellement au niveau des entreprises, dont la dette totale est de 26.000 milliards de dollars (102 % du PIB).

Dans son dernier rapport sur la stabilité financière, publié en octobre, le FMI constatait déjà que la dette des entreprises non financières des pays émergents et en développement avait plus que quadruplé entre 2004 et 2014, pour passer de 4.000 milliards à 18.000 milliards de dollars. La Chine, mais aussi la Turquie, le Chili, le Brésil, l'Inde, le Pérou la Thaïlande, le Mexique, la Corée, les Philippines, l'Indonésie et la Colombie sont tous répertoriés comme des zones à risque.

Quels sont les secteurs économiques les plus concernés ?

Principalement ceux de la construction, du pétrole et du gaz, des mines et de la production manufacturière. Si l'endettement est encore constitué pour l'essentiel de crédit bancaire, sa composante obligataire n'a cessé de prendre de l'ampleur. Alors que les emprunts obligataires représentaient 9 % de l'endettement total en 2004, leur pourcentage atteignait déjà 17 % en 2014. Surtout, la part des émissions en devises étrangères a gonflé. Que ce soit en dollars ou en euros.

Deux facteurs sont à l'origine de cet envol de l'endettement dans les pays émergents. D'une part, les politiques monétaires accommodantes de la Réserve fédérale américaine et de la Banque centrale européenne ont permis d'abaisser fortement les taux d'intérêt. L'octroi généreux de liquidités aux systèmes bancaires des pays développés a permis de forts flux d'investissements dans les pays émergents.

D'autre part, le niveau élevé des prix des matières premières a permis de générer pendant plusieurs années, même après la crise, le financement de projets d'investissement dans les secteurs des mines et du pétrole. Pour simplifier, l'argent coulait à flots et l'endettement s'est emballé. Jusqu'au jour où la situation s'est inversée.

L'effondrement des prix de l'or noir et des principales matières premières ainsi que le ralentissement économique global mettent en difficulté les entreprises endettées de ces secteurs. A cela s'ajoute la possible remontée des taux d'intérêt – dans un premier temps aux Etats-Unis puis dans un second temps en Europe – qui augmentera inévitablement le paiement des intérêts obligataires et le taux des crédits.

FMI-LOGO-300Le FMI s'interroge surtout sur les entreprises ayant contracté des emprunts à taux variables en dollars, sans avoir forcément initié des stratégies de couverture pour faire face à cet aléa. L'institution multilatérale observe déjà que les créances bancaires douteuses des entreprises privées des pays émergents et en développement incapables de générer suffisamment de bénéfices pour couvrir le service de leur dette sont passées de 4 % à 14 % de leur endettement total entre 2010 et 2015. L'inquiétude des investisseurs est palpable, à en juger par le renchérissement des emprunts contractés par les entreprises concernées.

Les conditions financières se sont détériorées de façon significative en Angola, en Egypte, au Ghana, au Kenya, en Mongolie, en Tanzanie, en Tunisie et en Zambie. Les entreprises d'Etat du secteur de l'énergie – comme en Russie, au Brésil, au Nigeria, au Kazakhstan – font également face à des difficultés. « La hausse des besoins de refinancement a accru la demande d'emprunt, en particulier parmi les entreprises exportatrices d'énergie et de métaux depuis la chute des prix de ces matières premières », alerte, de son côté, la Banque mondiale.

Pour ne rien arranger, les grandes institutions multilatérales reconnaissent qu'elles n'ont pas une vision précise de l'endettement du secteur privé dans ces pays. Les données manquent au niveau des financements consentis par les autres acteurs financiers non bancaires tels que compagnies d'assurances, « hedge funds », fonds d'investissement…

Sans compter les prêts accordés par certains Etats souverains, comme la Chine. Cet amoncellement de dettes commence à susciter une réelle inquiétude : celle d'une déflagration mondiale, se propageant par un effet de dominos si une ou plusieurs grandes entreprises de pays émergents venaient à faire défaut sur la totalité de leur dette. Un remake de 2008 en quelque sorte, sans les « subprimes »…

Source : Richard Hiault – Grand reporter – Les Echos

 

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