24e Forum international de Réalités : discours inaugural de Taieb Zahar

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Tunisie-Tribune (24e Forum international de Réalités) – Nous publions ci-après, dans son intégralité, le discours inaugural de M. Taieb Zahar, Président du Forum international de Réalités qui a démarré dans la matinée de ce jeudi 13 octobre 2022.

Cet important et traditionnel Forum qui est à sa 24e édition, se déroule actuellement à l’hôtel La Alhambra à Hammamet (voire les 13 et 14 octobre) sur le thème :

« La nouvelle donne stratégique en Méditerranée : les enjeux géopolitiques, économiques, migratoires, énergétiques et technologiques ». 

Taieb Zahar :
  • Monsieur Mourad Belhassen, Directeur au ministère des AE, représentant Monsieur Othman Jerandi, ministre des Affaires Etrangères, de la migration et des tunisiens à l’étranger
  • Monsieur Senen FLORENSA, président exécutif de l’IEMed.
  • Chers invités, Excellences, Mesdames et Messieurs,

 « Bienvenue à cette 24ème édition du Forum international de Réalités… Et c’est avec un grand honneur, beaucoup de fierté et un immense plaisir que je prends la parole pour ouvrir cette édition qui, malgré les difficultés rencontrées et qui nous ont poussé à reporter sa tenue du mois de juin dernier à ce mois d’octobre, se tient aujourd’hui grâce à cette volonté, qui nous anime depuis  plus de 24 années, de contribuer et enrichir le débat sur des questions d’intérêt commun mais aussi, et surtout, grâce à votre confiance et votre engagement à nos côtés ce qui a permis à cette aventure, la nôtre, de se poursuivre et de perdurer.

Et je me fais un devoir de souligner une nouvelle fois, que votre confiance, votre fidélité et votre présence à nos côtés, vos contributions de qualité et votre soutien continu nous ont, en effet, poussés à aller de l’avant et à investir de nouveaux champs de dialogue, d’échange et de réflexion.

C’est ce qui explique la fierté que nous avons de la place acquise par notre forum dans un contexte national, régional et international en mouvement, porteur de grandes incertitudes, de défis, de flou, de dangers et néanmoins de promesses.

En ma qualité de Président du forum international de Réalités, et au nom de tous ceux qui ont fait de ce Forum, et continuent, ce qu’il est, je me dois de vous exprimer ma reconnaissance et mes remerciements les plus sincères d’avoir cru en nous, en notre projet et en notre détermination à chercher constamment à reconstruire cet espace de débat libre, de réflexion à la fois profonde et ouverte et de rencontres privilégiées entre acteurs politiques, économiques, experts et représentants de la société civile de la région euro-méditerranéenne, du monde arabe et d’ailleurs.

La réussite du forum international de Réalités et son prestige reviennent en grande partie à l’engagement de ses initiateurs, mais également et surtout au soutien et à la collaboration précieuse de nos partenaires qui nous ont toujours fait confiance et qui nous ont constamment appuyé dans tout ce que nous faisons.

Chers invités, Excellences, Mesdames et Messieurs,

Les thématiques développées dans le cadre de notre forum ont toujours suscité un vif intérêt, retenu l’attention des décideurs et favorisé un croisement des idées et des expériences. Cela a permis d’apporter des éclairages utiles sur des questions d’ordre géostratégique, économique ou social.

Le Monde d’aujourd’hui est caractérisé par l’émergence de centres de pouvoir et de sphères d’influence formels ou informels multiples, la montée en puissance de centres financiers régionaux et la disparition des monopoles de puissance de certains Etats ce qui a donné naissance à un nouvel ordre mondial.

C’est ainsi que- nous sommes passés d’un monde unipolaire à un monde multipolaire dont les guerres ont accéléré la formation. Plus encore, nous assistons à une véritable fracture d’un monde où les divisions, les différends et les conflits nationalistes qui le rongent ne font qu’accentuer les tensions et où des pays fragilisés par cette situation sont pris en otage d’abord économiquement pour l’être ensuite politiquement.

Les risques encourus par l’humanité des suites de ces bouleversements sont énormes et aucun pays n’y échappera. Oubliée aujourd’hui l’opposition Est-Ouest, oubliée aussi la guerre froide, on est passé à un registre beaucoup plus pesant et, pour la première fois dans l’histoire, on assiste à une confrontation entre l’Asie et le monde occidental mené par les Etats-Unis. Ce qui se passe actuellement entre la Russie et l’Ukraine en est la meilleure illustration. Et la région euro-méditerranéenne n’échappe pas aux effets de ces bouleversements et en subit de plein fouet les impacts

Et c’est justement pour cette raison que le thème choisi pour cette 24ème édition porte sur « la nouvelle donne stratégique en méditerranée : les enjeux géopolitiques, économiques, migratoires, énergétiques et technologiques »

 

Mesdames et Messieurs,

Zone de contact et souvent de conflit entre civilisations différentes au cours des siècles, marquée par de profondes évolutions politiques le long de ses deux rives, la Méditerranée est aujourd’hui dominée par la présence de l’Union européenne au Nord et par le monde arabo-musulman au Sud et a connu et connaît encore des bouleversements profonds. Parallèlement, elle est culturellement et politiquement conflictuelle.

La méditerranée est également une zone de friction entre les riches et les pauvres, entre une Afrique en plein boom démographique, un monde arabe sous tension et une Europe tiraillée entre ouverture et protectionnisme. Aussi, l’instabilité chronique en Méditerranée orientale, la fébrilité politique et sociale des sociétés d’Afrique du Nord et le risque migratoire Sud/Nord sont autant de motifs de vigilance, tout comme la préservation indispensable de notre environnement commun : la mer Méditerranée. Préserver cet espace de vie est le dilemme auquel doivent répondre ses quelque vingt-trois États riverains.

Cette zone d’intérêt majeur a donc besoin de coopération, sauf que c’est le lieu où se jouent les ambitions des grandes puissances et de certains acteurs régionaux. La Méditerranée reste un espace géopolitique qui concentre les rivalités et les jeux d’alliances.

Après une phase de flou stratégique liée à la fin de la guerre froide, la Méditerranée est redevenue un lieu de concurrence entre les États-Unis, la Russie et la Chine qui l’intègre dans sa vision stratégique de long terme. L’influence grandissante de la Chine est partout visible en Méditerranée où elle investit massivement dans les infrastructures portuaires et les flottes commerciales mais aussi dans les industries minières et le BTP. La Chine cherche à nouer des partenariats énergétiques avec les pays de la rive sud producteurs de gaz et de pétrole. Sa stratégie reste toutefois essentiellement économique et ne s’ingère que très peu dans la dimension géopolitique régionale.

Pour la Chine, la Méditerranée permet d’abord d’accéder plus rapidement au marché européen et le principal souci des dirigeants chinois notamment en Afrique du Nord, semble être de prendre des gages économiques et de se positionner face aux États-Unis. Cette stratégie semble s’insérer dans une vision globale du monde qui consiste à renforcer les axes de communication Est-ouest, voire à en créer de nouveaux entre les BRIC’s, de manière à faciliter les échanges entre l’Amérique Latine, l’Afrique et l’Asie.

Pour les États-Unis, le bassin méditerranéen reste un espace stratégique important.

Mesdames et Messieurs,

 La nouvelle donne stratégique en Méditerranée engendre comme je l’ai souligné auparavant de nouveaux défis mais aussi de nouvelles opportunités dans les relations entre les pays qui l’entourent.

Le développement socio-économique, les évolutions culturelles et sociétales, les modes de gouvernance ou la démographie ont suivi des routes divergentes qui ont renforcé les incompréhensions, les rancœurs et même un ressentiment vis-à-vis de l’Europe, consciencieusement entretenu par des pouvoirs fragilisés en recherche de bouc émissaire.  

Les bouleversements qui affectent le monde arabe en général et le bassin méditerranéen servent de catalyseurs à des changements structurels plus profonds et dessinent une nouvelle lecture géopolitique qui engendre des risques.

Au Maghreb, on note un raidissement des pouvoirs qui pourrait favoriser une fuite en avant nationaliste. Le Maroc a utilisé le chantage migratoire face à l’Espagne, Alger a réactivé les tensions avec Rabat et entre Tunis et Rabat la tension est à son paroxysme sur fond de la question du Sahara Occidental, la Tunisie connaît une crise politique aux conséquences incertaines et les acteurs politiques libyens s’éloignent des perspectives électorales prévues et la Libye sombre davantage dans une crise dont on ne voit pas l’issue.

La Méditerranée est donc un théâtre de la géopolitique et des transformations des rapports de force à l’échelle mondiale, mais demeure un espace de coopération traversé par des crises majeures (climatiques, environnementales, migratoires, économiques, sociales) qui appellent des formes renforcées de coopération pour y faire face.

Quelles dynamiques de coopération institutionnelles, politiques, juridiques, etc. façonnent aujourd’hui l’espace méditerranéen ? Comment ces dynamiques pourraient-elles évoluer pour être à la mesure des enjeux que la région rencontre ? Des questions auxquelles nous tenterons, à notre niveau, de trouver des projets de réponses.

Autres enjeux, ceux économiques. La pandémie Covid puis la guerre en Ukraine ont entraîné une grande perturbation des chaînes d’approvisionnement et des processus de production. Ce qui est venu compliquer une situation économique catastrophique particulièrement dans les pays du sud même si les pays européens en savent quelque chose.

Il n’échappe à personne que le bras de fer russo-occidental en Ukraine et ses conséquences dévastatrices sur les économies nationales annonce une récession économique mondiale qui finira par tuer le moindre espoir de reprise économique de la Tunisie, qui a le plus grand besoin en investissements et en financements étrangers. Or l’Europe, premier partenaire économique de la Tunisie, se prépare, elle-même, à affronter un hiver, des mois et peut-être des années difficiles. Rien ne sera plus comme avant la guerre en Ukraine.

Aujourd’hui, on assiste à des ruptures de stocks de produits de première nécessité mais et surtout à une crise énergétique qui n’a épargné aucun pays. La crise énergétique qui frappe l’Europe de plein fouet est la preuve que la mondialisation en a pris un sérieux coup et que les prochaines années verront peut-être le retour même partiel à l’individualisme et le protectionnisme que certains appellent souverainisme. Une idée qui n’est pas pour déplaire au président français Emmanuel Macron qui plaide pour une Europe plus forte tout en étant plus indépendante et plus souveraine y compris sur le plan militaire. 

Tous les acteurs s’organisent donc pour s’adapter à cette nouvelle donne et se positionner au mieux dans le nouvel équilibre qui se dessine. D’autant que chacun partage le sentiment qu’il y aura des gagnants et des perdants à l’issue de ce grand remue-ménage.

Mesdames et Messieurs,

Au cours de la dernière décennie notre région méditerranéenne a connu de grands bouleversements. « Printemps arabe », changements de régime politique dans certains pays, conflits armés dans d’autres et des tensions nées de différends régionaux revenus à la surface.

La Tunisie a été au centre de ces bouleversements étant le pays d’où est partie la révolte communément appelé « printemps arabe ». Elle a de ce fait constitué un laboratoire pour l’avenir d’un processus démocratique.

Surtout que c’est le pays arabe qui disposait de la société civile la plus avancée (notamment en matière de droits des femmes), d’une classe moyenne très éduquée, d’un tissu associatif développé et d’institutions étatiques solidement enracinées. Ce qui fait que tous les regards, que ce soit de ceux qui espéraient ou ceux craignaient le succès de cette expérience démocratique, étaient braqués sur Tunis, où les clivages entre islamistes et progressistes s’accroissaient, et continuent, faisant croire à une vivacité du jeu démocratique.

Mais la chute d’interlocuteurs privilégiés, la montée des populismes et la radicalisation des discours ont rendu difficile le dialogue politique, la négociation diplomatique et la coopération militaro-économique entre les deux rives de la Méditerranée.

Dans ce contexte de bouleversements et de changements profonds, la Méditerranée qui est une frontière, un espace dans lequel, chaque jour, des hommes et des femmes aux histoires singulières périssent en traversant cette mer quand d’autres tentent de les secourir. La crise migratoire s’est aggravés ces dix dernières années et les drames se succèdent et questionnent à la fois la coopération pour le sauvetage en mer et plus généralement le droit de secourir.

Un ensemble de facteurs sociaux, économiques, politiques et environnementaux, sont à l’origine des importantes circulations migratoires observées entre les deux rives de la Méditerranée. À mesure que les États occidentaux ferment leurs frontières, puisque les pays de la rive sud ont connu d’intenses déstabilisations, l’immigration clandestine à destination de l’Europe a considérablement augmenté.

La persistance de l’immigration clandestine en Méditerranée et la montée des extrémismes en Europe sont porteuses de défis pour l’ensemble des pays des deux rives. À la fois cause et conséquence des migrations, la géopolitique est au cœur des enjeux relatifs à l’immigration clandestine en Méditerranée.

Mesdames et Messieurs,

An moment où l’économie mondiale se trouve confrontée à de graves préoccupations, l’équilibre économique, politique et social du bassin méditerranéen reste un enjeu majeur qui concerne le monde entier. Dans cet équilibre, le secteur énergétique, marqué par des inégalités et des complémentarités, occupe une place fondamentale. La recherche d’un consensus méditerranéen repose, dans le domaine énergétique, sur cinq axes stratégiques prioritaires : ouvrir, produire, échanger et interconnecter, et enfin coopérer, y compris dans la mise en place de nouvelles formes de régulation mondiales.

Le bassin méditerranéen dispose des potentialités pour relever les défis énergétiques qui se posent à l’ensemble de la région : assurer la sécurité d’approvisionnements de la région en énergie, la protection de son environnement et un développement économique équilibré de la zone toute entière, au moyen d’un partage équitable des ressources et des profits, pour en faire réellement une zone de « prospérité partagée ».

La guerre dont l’Ukraine est la principale victime a brouillé toutes les cartes et fait que le secteur énergétique qui constituait un cadre de coopération majeur est devenu source de tensions, de pénuries et de crises. Cela concerne tout autant le gaz naturel que les énergies renouvelables.

Face à ces bouleversements, le temps est aujourd’hui à la réflexion et à l’anticipation. Comment faire face aux nouveaux défis géopolitiques en Méditerranée ?

Pourquoi ne pas avoir le courage politique d’adopter une nouvelle approche de la question migratoire ? Les nouvelles ressources énergétiques peuvent-elles constituer, à l’avenir, les fondements d’une nouvelle prospérité partagée en Méditerranée… ?

Mesdames et Messieurs,

Cinq séances meubleront ces deux journées de débat. « La nouvelle carte géopolitique en méditerranée », sera le thème de la première séance qui permettra de cerner le recentrage de la politique européenne dans le contexte des tensions géopolitiques actuelles.

Cette session permettra aux panélistes d’engager des réflexions sur les problématiques auxquelles font face les pays méditerranéens en crise tels que le Liban, la Libye et la Syrie mais aussi en Afrique du Nord avec les tensions entre le Maroc et l’Algérie et récemment entre la Tunisie et le Maroc sur fond de la question du Sahara Occidental, ainsi que sur le rôle qui devrait être joué par la Chine et la Russie en tant que nouveaux acteurs dans un nouveau contexte géopolitique.

La deuxième séance de cette première journée traitera d’un thème qui préoccupe tous les Etats riverains de la grande bleue. Il s’agit des « flux migratoires en méditerranée ». Des regards croisés de deux éminentes personnalités meubleront la première session à travers la présentation d’analyse des flux migratoires en corrélation avec la donne démographique et les dimensions géopolitiques des migrations internationales en Afrique du Nord et dans ses voisinages subsahariens et européens.

La deuxième session de cette séance sera consacrée aux rôles et position de la société civile au-delà des accusations, une tentative de dialogue.

La deuxième journée de notre forum verra la tenue de trois sessions consacrées à des thèmes d’une actualité brûlante en raison de la guerre en Ukraine et son impact sur les pays de l’UE et à fortiori sur les pays riverains de la méditerranée, à savoir « la nouvelle donne économique : de nouveaux défis et de nouvelles opportunités », « nouvelle donne stratégique en Méditerranée et souveraineté énergétique ».

Dernier thème qui sera débattu lors de la troisième session, il portera sur la question des « nouvelles technologies de l’information et de la communication et industrie 4.0 : un raccourci stratégique pour la Tunisie ».

L’objectif recherché par les thèmes proposés étant d’examiner et de mieux comprendre en quoi et comment le partenariat stratégique euro-méditerranéen devrait évoluer dans un contexte mondial multipolaire.

Avant de conclure, je voudrais en mon nom personnel et en votre nom, exprimer ma reconnaissance et ma gratitude aux membres du comité scientifique qui a veillé à la préparation et l’élaboration du programme de ce Forum. J’ai nommé Messieurs Hatem Ben Salem, Afif Chelbi, Slim Tlatli ,Mustapha El Haddad et  Adel Ben Youssef.

Je voudrais, également, vous exprimer à vous tous, mes remerciements les plus chaleureux d’avoir accepté de participer à notre Forum pour en enrichir les débats et aider à trouver des réponses aux problématiques qui se posent.

Mes remerciements s’adressent également à nos partenaires et nos  sponsors, l’IEMed, la STEG, Huawei, la Caisse des dépôts et des consignations, la QNB, la Banque de Tunisie, la BTK , Agil ,BNA et Tunisiair notre transporteur officiel pour la confiance qu’ils continuent à placer en notre projet et leur engagement continu à nos côtés.

Je ne peux conclure sans me tourner vers l’équipe du Forum international de Réalités et la remercier pour la patience et la passion avec lesquelles elle a préparé cette rencontre et veillé à lui assurer toutes les conditions de réussite. Qu’elle trouve ici l’expression de ma reconnaissance. »

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